Les écoutes téléphoniques

Les écoutes téléphoniques se définissent comme « une technique consistant à interposer, au moyen d’une dérivation sur la ligne d’un abonné, un procédé magnétique d’enregistrement de conversation »[1].

Ces interceptions peuvent être réalisées dans un cadre :

  • Judiciaire, au cours d’une enquête judiciaire ou d’une instruction. Elles sont prévues par le Code de procédure pénale, le terme exact est « interceptions de correspondances par la voie de communication électronique ».
  • Administratif, pour des motifs liés à la sécurité nationale, elles sont prévues par le Code sécurité intérieure, le terme exact est « interceptions de sécurité ».

1. Les interceptions de correspondances : le cadre judiciaire

Les interceptions de correspondances concernent les appels comme l’envoi de SMS, MMS, ou courriels. Les conversations peuvent être interceptées, enregistrées et transcrites à l’insu des personnes surveillées.

Ces interceptions de correspondances doivent être réalisées dans le cadre :

  • d’une information judiciaire (instruction) ouverte pour une infraction dont la peine encourue est de 3 ans ou plus.
  • d’une enquête pour une infraction listée aux articles 706-73 ou 706-73-1 du Code de procédure pénale, à la requête du procureur de la République avec l’autorisation et sous le contrôle du Juge des Libertés et de la Détention (JLD).

L’autorisation d’un juge[2] est toujours nécessaire pour réaliser ces interceptions et cette autorisation doit être renouvelée passé un certain délai[3]. En aucun cas un officier de police judiciaire ou un gendarme peut décider seul de placer une personne sous écoute. Le juge exerce aussi un contrôle sur la mise en œuvre de ces mesures.

De plus, lorsqu’il s’agit d’une enquête et non d’une information judiciaire, seules certaines infractions permettent le recours aux interceptions de correspondance. En effet, il s’agit exclusivement des enquêtes ouvertes en matière de criminalité/délinquance organisée ou en recherche de personne en fuite[4]. Autrement dit, dans une enquête pour des délits de droit commun (ex :  vol, violences, abus de faiblesse, dégradation, injure …) il n’est pas possible d’avoir recours aux écoutes.

Quel que soit le cadre des investigations, le support des enregistrements doit être saisi et placé sous scellé. Les transcriptions ne doivent porter que sur les conversations utiles à la manifestation de la vérité. En effet, les conversations écoutées sans lien avec l’infraction recherchée ne doivent pas être retranscrites.

En pratique les interceptions de correspondances sont centralisées sur la Plateforme Nationale des Interceptions Judiciaires (PNIJ)[5]. Cette dernière est d’ailleurs sur le point d’être réformée. Elle rencontre en effet de nombreuses difficultés : coût important, bugs, dysfonctionnements … La PNIJ rencontre notamment de grandes difficultés à déchiffrer les données cryptées (Ex : Telegram, Signal).

Un communiqué de presse de la PNIJ en date du vendredi 3 septembre 2017 nous informait que 600 000 communications et 900 000 SMS étaient interceptées chaque semaine. Il faut savoir que les écoutes restent une technique d’investigation minoritaire : la transmission des données de connexion (notamment des « fadettes ») est plus courante.

Par conséquent, les interceptions judiciaires sont prévues par la loi, autorisées et contrôlées par un magistrat du siège. Le non-respect des règles de procédure est susceptible d’entrainer la nullité de l’interception et donc, le retrait des transcriptions versées au dossier.

Dans une organisation parallèle, d’autres écoutes peuvent être réalisées en dehors du cadre judiciaire, par les services de renseignement.

2. Les interceptions de sécurité : le cadre administratif

Ces interceptions de sécurité doivent être réalisées dans les finalités de l’article L811-3 du CSI :

– l’indépendance nationale, l’intégrité du territoire et la défense nationale ;

– les intérêts majeurs de la politique étrangère, l’exécution des engagements européens et internationaux de la France et la prévention de toute forme d’ingérence étrangère ;

– les intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs de la France ;

– la prévention du terrorisme ;

– la prévention des atteintes à la forme républicaine des institutions, la prévention des actions tendant au maintien ou à la reconstitution de groupements dissous et la prévention des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique ;

– la prévention de la criminalité et de la délinquance organisées ;

– la prévention de la prolifération des armes de destruction massive

– la prévention des évasions, la sécurité au sein des établissements pénitentiaires.

Ces écoutes sont demandées au niveau des services habilités.

Les services du premier cercle sont :

-Au sein du ministère de l’intérieur : la Direction Générale de la Sécurité Intérieure (DGSI), le Service central du renseignement territorial, la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris

-Au sein du ministère de la défense : la Direction du Renseignement et de la Sécurité de la Défense (DRSD), la Direction Générale de la Sécurité d’État (DGSE), la Direction du Renseignement Militaire (DRM).

-Au sein du ministère de la finance : la Direction Nationale du Renseignement et des Enquêtes Douanières​ (DNRED), service de Traitement du Renseignement et Action Contre les Circuits Financiers Clandestins (TRACFIN).

Les services du second cercle sont :

-la direction générale de la police judiciaire, la direction générale de la gendarmerie nationale, de la préfecture de police de Paris, au sein de la direction générale des établissements pénitenciers.

Les moyens alloués et le nombre de personnes travaillant dans ces services est en croissance constante.

ÉVOLUTION DES EFFECTIFS DES SERVICES SPÉCIALISÉS DE RENSEIGNEMENT
Source : Délégation parlementaire au renseignement, rapport n° 1869 de Mme Yaël Braun–Pivet relatif à l’activité de la délégation parlementaire au renseignement pour l’année 2018, avril 2019, p. 94.

Ces différents services de renseignements peuvent demander la mise sous écoute de certaines personnes. Ces demandes sont centralisées par le Groupement Interministériel de Contrôle (GIC) puis soumises à la Commission Nationale de Contrôle des Techniques de Renseignements (CNCTR). Sauf dans les cas d’urgence absolue, l’avis de la Commission est obligatoire.

La CNCTR formule un avis positif ou négatif. Il s’agit d’un simple avis, il est donc possible de passer outre. Cette commission peut également formuler des observations, demander des informations supplémentaires ou proposer que l’écoute soit limitée à une période précise dans le temps.

Enfin, après l’avis de la CNCTR les écoutes sont autorisées ou refusée par le Premier ministre. Les autorisations sont également centralisées par le GIC.

Le GIC est l’interlocuteur exclusif des opérateurs de communications électroniques et des fournisseurs de services sur Internet. Il recueille les données qu’ils traitent en application des autorisations prononcées. Il met ensuite ces données à la disposition des services de renseignement et contrôle leur exploitation.

Les interceptions de sécurité connaissent actuellement une croissance importante (environ 20% par an depuis deux ans).

En 2019, la CNCTR compte 12 574 demandes d’interceptions de sécurité.

Par décision du 5 juillet 2019, le Premier ministre porte à 3 800 le nombre maximal d’autorisations simultanément en vigueur. Ce nombre maximal augmente régulièrement et n’est pas réparti de façon égale entre les différents ministères.

RÉPARTITION PAR MINISTÈRE DU CONTINGENT D’INTERCEPTION DE SÉCURITÉ

Source :  rapport annuel de la CNCTR (2019)

Source :  rapport annuel de la CNCTR (2019)

Il faut savoir que les interceptions de correspondance ne sont qu’une partie des techniques de renseignement. Ces services peuvent aussi avoir recours :

-au recueil de données de connexion en temps réel (article L.851-2 du CSI)

-au recueil de données de connexion par IMSI catcher (article L.851-6 du CSI)

-au « AE-TN »

-à la captation de paroles prononcées à titre privé (L.853-1 du CSI)

-à la captations d’images dans un lieu privé (L.853-1 du CSI)

Le rapport 2019 de la CNCTR nous informe qu’en 2019 :  environ 22 210 personnes ont fait l’objet d’une mesure de surveillance, dont 7 736 au titre de la prévention du terrorisme et 5 693 au titre de la prévention de la criminalité et la délinquance organisée.

La proportion de personne surveillées sur le fondement de la prévention des violences collectives a également progressé de 9,6% en 2018 à 13,6% en 2019.

Afin de limiter les atteintes au droit au respect de la vie privée des personnes faisant l’objet de techniques de renseignement, la loi prévoit que les renseignements collectés doivent être détruits avant l’expiration d’un certain délai. La durée varie en fonction de la nature des données et de l’atteinte portée au droit au respect à la vie privée.

Toute personne peut saisir la CNCTR d’une réclamation pour demander à la Commission de vérifier que des écoutes (ou autre technique de renseignement) n’ont pas été irrégulièrement effectuées à son égard.

A la suite de cette requête, il est possible de saisir une formation spécialisée du Conseil d’État pour demander au juge administratif de mener des vérifications.

 

[1] Chambre d’accusation, le 16 février 1989.

[2] Juge d’instruction ou juge des libertés et de la détention selon le cadre d’investigations)

[3] 4 mois renouvelables pour l’information judiciaire et 1 mois renouvelable une fois pour l’enquête

[4] Pour la liste des infractions pour lesquelles l’interception peut être autorisée dans le cadre d’une enquête v. art. 706-73 et 706-73-1

[5] Depuis 2015.

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